La prise d’acte de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié

 

Son régime juridique, ses effets, les pièges à éviter et plus encore 

Une sortie du contrat de travail réputée périlleuse …

disputeMode de rupture alternatif au licenciement et à la démission, le prise d’acte de la rupture du contrat de travail est réputée périlleuse.

C’est aussi un traitement de choc pour mettre un terme à une situation devenue inextricable.

Excédé par le comportement de son employeur, le salarié lui adresse un beau jour un courrier dans lequel il déclare prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Rompre le contrat d’accord, mais surtout aux torts de l’employeur et pour les griefs énoncés dans ledit courrier.

En résumé : une cessation du contrat assise sur les reproches que le salarié notifie à son employeur. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de la prise d’acte un mode de sortie sulfureux du contrat de travail.

Sulfureuse d’abord par la radicalité de ses effets. La prise d’acte entraîne la « cessation immédiate du contrat de travail » (Cass soc 20 janvier 2010 n°08-43471 ; Cass soc 27 juin 2012 n°11-10569). Ce qui signifie :

– Que le salarié n’est pas tenu d’exécuter un préavis (Cass soc 28 septembre 2011 n°09-67510) ;

– Qu’il n’est pas possible de se rétracter (Cass soc 14 octobre 2009 n°08-42878 ; Cass soc 26 octobre 2011 n°09-42708) ;

– Que l’employeur doit remettre immédiatement le certificat de travail et l’attestation destinée à Pôle emploi sur laquelle il lui appartient de faire figurer « le motif exact de la rupture du contrat de travail, tel qu’il ressort de la prise d’acte du salarié » (Cass soc 27 septembre 2006 n° 05-40414). A défaut, le juge des référés peut ordonner la délivrance de ces documents sous astreinte (Cass soc 4 juin 2008 n°06-45757).

et aléatoire

Sulfureuse, la prise d’acte l’est également en raison de son caractère hautement aléatoire. Si la cessation du contrat est immédiate, il n’en va pas de même s’agissant de la qualification de la rupture. Car tout va dépendre des griefs invoqués par le salarié. Ou, plus exactement, de la façon dont ils seront appréhendés par le juge.

Selon la formule consacrée, apparue pour la première fois dans des arrêts rendus en juin 2003, « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission » (Cass soc 25 juin 2003 01-42335).

procèsAutrement dit, la qualification de la rupture – dont découlent ses conséquences pécuniaires – implique de saisir le juge afin qu’il apprécie si les faits allégués par le salarié étaient de nature à justifier la rupture du contrat de travail.

Par la suite, la Cour de cassation a précisé que la prise d’acte ne pouvait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’en présence d’un «  manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail » (Cass soc 30 mars 2010 n°08-44236 ; Cass soc 2 avril 2014 n°13-11187).

Il est possible d’évoquer d’autres griefs que ceux formulés dans la lettre notifiée à l’employeur. Le juge est tenu de les examiner (Cass soc 29 juin 2005 n°03-42804) – sauf si le salarié n’en n’avait pas connaissance au moment de la prise d’acte (Cass soc 9 octobre 2013 n°11-24457).

Enfin, c’est sur le salarié que pèse la charge de la preuve  sans qu’il puisse invoquer le bénéfice du doute comme en cas de contestation d’un licenciement (Cass soc 30 mai 2007 n°05-44685).

A partir de là, de deux choses l’une :

Soit le juge considère que les manquements de l’employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La rupture produira alors tous les effets pécuniaires d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié aura notamment droit à une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés, à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, le cas échéant, pour tout préjudice qui serait dissociable de la rupture elle-même (discrimination, harcèlement, circonstances vexatoires …). Il sera par ailleurs indemnisé par Pôle emploi comme en matière de licenciement.

Soit le juge estime que les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou pas suffisamment graves pour faire obstacle à la continuation du contrat de travail. Et là c’est parfois le drame ! L’auteur de la prise d’acte est considéré comme démissionnaire avec toutes les conséquences qui s’ensuivent : non seulement il ne percevra aucune indemnité ou allocation d’aide au retour à l’emploi, mais il sera en outre redevable d’une indemnité compensatrice de préavis. Du moins si l’employeur en réclame le paiement au cours de la procédure. Cela vous étonne ? Rappelez-vous ! La prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. Mais si elle est analysée a posteriori comme une démission, cela signifie que l’inexécution du préavis est due au comportement fautif du salarié – … et non de l’employeur.

En pratique : la prise d’acte d’un point de vue chronologique

Résumons nos propos.

chronosLa prise d’acte entraîne la rupture du contrat à compter de sa réception. Mais le salarié devra saisir le Conseil de prud’hommes pour que la cessation du contrat soit assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans la mesure où la qualification de la rupture est incertaine, le salarié ne sera pas indemnisé par Pôle Emploi tant que le Conseil de prud’hommes n’a pas statué.

Il s’agit là d’une conséquence logique du régime juridique de la prise d’acte. L’allocation d’aide au retour à l’emploi est en effet destinée à compenser les privations involontaires d’emploi. Or, la prise d’acte produira les effets d’une démission si les faits invoqués par le salarié ne sont pas établis ou pas suffisamment graves pour emporter la rupture du contrat de travail.

Il n’en demeure pas moins que, dans ces conditions, le délai d’attente est extrêmement dissuasif pour le salarié.

C’est la raison pour laquelle, le législateur est intervenu sur cette question par une loi n° 2014-743 du 1er juillet 2014.

Désormais, aux termes l’article L. 1451-1 du Code du travail, « lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine ».

Si l’intention est tout à fait louable, il est à craindre que le délai d’un mois ne soit pas respecté. Aucune sanction n’est prévue en cas de dépassement et d’autres demandes, qui sont également censées être tranchées en un mois, donnent lieu, en pratique, à des procédures beaucoup plus longues. Je pense essentiellement à la requalification des contrats précaires en CDI.

La circulaire UNEDIC 2014-26 précise qu’une prise en charge rapide (c’est-à-dire sans attendre la décision judiciaire) peut intervenir dans deux situations :

  • en cas de non-paiement des salaires ;

  • ou lorsque le salarié déclare avoir été victime d’un acte délictueux à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail.

« Par ailleurs (…) après 121 jours non indemnisés par l’assurance chômage, la situation du salarié peut être examinée, à sa demande, par l’Instance Paritaire Régionale (IPR) en vue d’une prise en charge au titre de l’ARE à compter du 122ème jour ».

Ainsi, compte tenu de l’impossibilité pour la plupart des Conseils de prud’hommes de statuer dans le délai légal d’un mois, le salarié peut s’attendre à rester sans ressources durant plusieurs mois.

La nécessité d’invoquer des griefs suffisamment graves : quelques illustrations

warningSelon la formulation actuelle de la Cour de cassation, les manquements reprochés à l’employeur doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Cela signifie que toute violation du cadre légal, contractuel ou conventionnel ne suffit pas à justifier la prise d’acte.

Ainsi, une modification unilatérale du contrat de travail qui n’impacte qu’une faible part de la rémunération ou – encore mieux ! – sans influence défavorable sur cette dernière (Cass soc 12 juin 2014 n°12-29063 et n° 13-11448) ne prête pas suffisamment à conséquence pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

L’absence de maintien de salaire durant un arrêt de travail n’est pas davantage de nature à justifier la prise d’acte si elle est « ponctuelle et isolée » (Cass soc 24 sept. 2014 n° 13-18091).

Il en va de même pour des manquements trop anciens (Cass soc 26 mars 2014 n°12-23634). Simple question de bon sens : le salarié qui s’accommode des années durant des pratiques de son employeur ne peut prétendre qu’il se trouve soudain dans l’impossibilité de poursuivre son contrat de travail – puisque justement, dans les faits, il a continué à travailler sans protester (Cass soc 23 septembre 2014 n°13-19900).

Pour être crédible, il faudra donc faire preuve d’un minimum de réactivité !

A cette condition, sont en principe de nature à justifier la prise d’acte :

– le fait de ne plus procurer de travail au salarié (Cass soc 7 mars 2012 n° 10-12727, Cass soc 26 sept. 2012 n° 10-30852) ;

le non-paiement du salaire (Cass soc 6 juillet 2004 n°02-42642), d’heures complémentaires (Cass soc 13 juin 2012 n°11-13959) ou d’heures supplémentaires (Cass soc 16 mars 2011 n° 08-42218) ;

– une diminution importante de la rémunération contractuelle, imposée par l’employeur (Cass soc 27 oct. 2009 n° 08-41458) ;

– le non-respect du salaire minimum conventionnel (Cass soc 5 mai 2010 n° 08-43832) ;

– le non-paiement de certaines primes (Cas soc 30 nov. 2011 n° 09-71858, Cass soc 3 mai 2012 n°10-20738) ;

– des mesures discriminatoires (Cass soc 12 déc. 2012 n°10-28166 – en l’espèce : discrimination liée à la situation familiale se traduisant par une affectation dans un emploi inexistant) ou attentatoires à la dignité du salarié (Cass soc 7 février 2012 n°10-18686 – « propos indélicats aux termes desquels [l’employeur] reprochait [à sa salariée] de dégager des odeurs nauséabondes en évoquant ” une gangrène, une incontinence  ») ;

– des actes de harcèlement ou de violence, qu’ils émanent de l’employeur ou d’un autre salarié (Cass soc 19 janv. 2012 n°10-20935 ; Cass soc 15 déc. 2010 n°09-41099).

Les cas particuliers

Pour finir ce long panorama jurisprudentiel, quelques cas particuliers dans lesquels les salariés bénéficient d’un allègement – voire d’un renversement – de la charge de la preuve ou des conséquences financières attachées à la nullité de la rupture de leur contrat de travail.

(1) Allègement de la charge de la preuve

Comme on l’a vu, c’est en principe au salarié de rapporter la preuve de la matérialité et de la gravité des faits qu’il invoque. A rebours du contentieux consécutif aux mesures de licenciement, le doute profite généralement à l’employeur.

Mais il en va différemment chaque fois que pèse sur une lui une obligation de sécurité-résultat, c’est-à-dire, plus exactement, dans le champ de la protection de la santé au travail.

En effet, « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité » (Cass soc 28 février 2006 n°05-41555 ; Cass soc 14 octobre 2009 n°08-42878).

Pour peu que le salarié soutienne l’inverse, c’est donc à lui de démontrer qu’il n’a commis aucun manquement.

Cet aménagement de la charge de la preuve concerne notamment :

  • La mise en œuvre des recommandations du médecin du travail (ibid.);

  • Le respect des règles de sécurité à l’égard du salarié victime d’un accident du travail (Cass. soc 12 janv. 2011 n°09-70838);

  • La convocation aux visites médicales obligatoires (Cass soc 22 sept. 2011 n°10-13568) : sur ce point, la Cour de Cassation considère que tout manquement de l’employeur est suffisamment grave dans la mesure où « les examens médicaux d’embauche, périodiques et de reprise du travail auxquels doivent être soumis les salariés concourent à la protection de leur santé et de leur sécurité ».

(2) Nullité de la rupture du contrat

Dans certaines situations, précisément encadrées par les textes, la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul. Pour ce faire, il faut qu’elle intervienne dans un contexte où tout licenciement serait nécessairement nul ; la Cour de cassation tire alors toutes les conséquences de l’assimilation de la prise d’acte à un licenciement. 

En guise d’illustrations, la prise d’acte produira les effets d’un licenciement nul :

  • lorsqu’elle est justifiée par l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi que l’employeur est tenu d’établir (Cass soc 25 janv. 201210-23516 qui évoque « l’absence dans le plan social d’un plan de reclassement interne » ­– situation qui relève désormais des dispositions de l’article L. 1235-10 du Code du travail) ;

  • lorsqu’elle émane d’un représentant du personnel (salariés protégés : délégués du personnel, délégués syndicaux, membres des comités d’entreprise et des CHSCT etc) ;

  • lorsqu’elle est motivée par des actes de harcèlement moral ou par des actes discriminatoires au sens des articles L. 1132-1 et suivants du Code du travail ;

  • lorsqu’elle intervient pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou qu’elle émane d’une femme enceinte pendant la période de protection légale.

La Cour de Cassation a indiqué qu’un représentant du personnel, dont la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul, ne peut pas demander à être réintégré dans son emploi – après avoir lui-même mis un terme à son contrat ! ­– mais uniquement un complément d’indemnisation (Cass soc 29 mai 2013 n°12-15974).

Cette solution est transposable à tous les cas où la prise d’acte est assimilable à un licenciement nul. Elle s’explique par le fait que la prise d’acte « entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut être rétractée » (ibid.).

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